La volonté des libéraux est de généraliser le dumping social déjà installé dans le domaine du transport routier, dans tous les types de transport et notamment le ferroviaire.
La négociation de la convention collective de la branche ferroviaire (CCN) se déroule dans un contexte où le Medef profite de son influence sur le gouvernement sur le prétendu « coût du travail » qui n’est qu’un prétexte pour affaiblir les droits des salariés. Au même moment, un rapport de la Cour des comptes nie la réussite du TGV et son efficacité en matière de réponse aux besoins de transports sur les trajets de longue distance et propose d’ouvrir le réseau à grande vitesse afin de rentabiliser les infrastructures.
La réforme ferroviaire promulguée le 4 août 2014 entre dans cet objectif. Elle a fait l’objet d’un lobbying puissant du patronat dans sa rédaction et pour de nombreux amendements.
La CGT a combattu cette réforme. Dès le début de ce projet politique, elle avait identifié qu’il tournait le dos au service public et n’était pas financé. Ce texte va créer des difficultés dans la production au quotidien et dégradera encore plus les conditions de vie et de travail des cheminots. Il accélérera l’ouverture du transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence.
Une agitation orchestrée
La classe politique, acquise dans sa grande majorité aux préjugés insupportables entretenus par nos propres dirigeants, plonge dans le fantasme du low cost, de l’ouverture à la concurrence, du développement de l’autocar comme remède au manque de pouvoir d’achat de nos concitoyens et au manque de financements.
Notre négociation débute donc sous une pression médiatique et politique qui jette les cheminots à la vindicte populaire. Chacune des fuites organisées de pseudo-études – de cabinets obscurs – qui paraissent dans la presse est prétexte, pour la direction de la SNCF, à remettre en cause, chapitre par chapitre, le statut (droit syndical, sécurité de l’emploi, déroulement de carrière, retraite, protection sociale et temps de travail).
La lecture partisane qu’en fait la direction de la SNCF lui permet confortablement de remettre en cause l’accord sur les 35 heures sans avoir à le dénoncer, sans doute par instinct de préservation d’une image sociale. Ce positionnement patronal percute lui aussi cette négociation.
L’UTP 1 souhaite, pour sa part, aborder la négociation du volet « organisation et aménagement du temps de travail » en parallèle du décret socle 2. À l’entendre, ce dernier devrait être cantonné à la seule prérogative de la sécurité et rester déconnecté des conditions de vie des cheminots. Ce vœu de l’UTP et les freins que met le gouvernement à vouloir négocier ce décret donnent raison aux craintes de la CGT et des cheminots, fortement mobilisés en juin dernier.
Réglementation/Cadre social
La SNCF, principal employeur parmi les entreprises adhérentes de l’UTP, faisait alors la promotion du décret socle afin de rassurer les cheminots sur la garantie d’un cadre social de haut niveau, tout en préservant « sa compétitivité ». Cette posture n’avait-elle pas pour seul but l’enfumage autour d’une réforme néfaste ?
La libéralisation sauvage du transport de marchandises démontre que la déréglementation n’a pas eu de plus-value pour le développement du ferroviaire. Le RH0077, quant à lui, a été conçu pour organiser efficacement le transport ferroviaire. Ce n’est pas un texte dogmatique. Il est né de l’expérience tirée des catastrophes ferroviaires et de la lutte. Il n’est pas monnayable. Sa remise en question devient idéologique.
Le cadre social des cheminots s’est construit, avec la CGT, du temps des compagnies privées et d’État et depuis leur nationalisation (qui a permis la création de la SNCF). Le progrès social a en permanence suivi le progrès technique. Le RH0077, le dictionnaire des filières, l’accord formation, mais aussi le statut de la SNCF, entreprise publique, sont le résultat de cette construction. Le patronat ne peut l’ignorer.
Des attaques permanentes
Massification de la sous-traitance, attaques sur le périmètre des métiers, dérogations à la réglementation, explosion du travail de nuit, sous-effectif chronique et individualisation de la rémunération impactent les conditions de vie et de travail des cheminots.
Pour nombre d’acteurs (patronat et organisations syndicales d’accompagnement), les volets « organisation du travail » et « classification des métiers » ne sont pas négociables avant les élections professionnelles à la SNCF. Cette stratégie aurait pour conséquences un scrutin précipité et une négociation paralysée.
Le premier sujet, pas des moindres, mis sur la table est le champ d’application. Si, pour la CGT, la définition de ce qu’est un cheminot ne fait pas de doute, le patronat recherche, lui, toutes les échappatoires, y compris la direction de la SNCF, qui, avec sa politique de mise en concurrence de l’Épic avec ses propres filiales, favorise le dumping social.
Champs d’application
Notre Fédération a des divergences de fond concernant les propositions patronales :
- La double condition activité ferroviaire et titre de sécurité est imposée. Or, toutes les activités ferroviaires ne demandent pas de titre de sécurité délivré par l’Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF). La CGT souhaite séparer les deux conditions, activité ferroviaire et titre de sécurité. En effet, il existe aujourd’hui des entreprises qui ont une activité ferroviaire sans titre de sécurité, y compris des activités de transport, sous couvert du titre de la maison mère. Pour exemple, Naviland Cargo Rail roule sous le certificat de la SNCF.
- Le périmètre du réseau ferré national (RFN) reste insuffisant, la loi du 4 août 2014 permet de sortir du RFN certaines lignes, et la problématique des voies portuaires demeure. Selon la CGT, il faut intégrer l’ensemble des cheminots, quel que soit le lieu d’exercice de leur métier.
- La loi prévoit que la Convention collective nationale ne soit pas appliquée à tous les personnels des entreprises ferroviaires, contrairement à ce que souhaite la CGT, quand bien même l’entreprise déclarerait l’activité ferroviaire comme annexe. En effet, si la loi prévoit l’application du décret socle et du volet « organisation et aménagement du temps de travail » de la CCN, les aspects essentiels pour la sécurité ferroviaire, tels que la formation, la classification des métiers, ne seraient pas applicables à tous les cheminots. Un grand nombre d’entreprises seraient impactées. Pour exemple, Colas Rail déclare comme activité principale les travaux publics, alors qu’il transporte des marchandises sur le RFN, y compris des marchandises sans rapport avec ses besoins de travaux. Et Thello sous-traite la sécurité à bord, les départs des trains, les essais de freins à une entreprise qui applique la convention des cafés, hôtels, restaurants.
- Les travaux de maintenance de l’infrastructure seraient écartés de la convention collective sur les chantiers fermés. Or, RFF 3 veut assouplir la notion de chantier fermé à quelques heures alors qu’il est question de sécurité ferroviaire. Les accidents du travail mortels de ces derniers temps témoignent du mépris des dirigeants des entreprises pour la vie humaine. La SNCF et RFF (demain SNCF Réseau), qui sous-traitent à outrance leurs travaux aux moins-disants, ont toute leur part de responsabilité.
- La loi définit que la maintenance du matériel roulant se limite à la maintenance courante. Cette notion est trop restrictive et écarte un certain nombre d’opérations. Cela favoriserait une politique de sous-traitance, comme pour Ermewa, premier propriétaire de wagons, filiale suisse 100 % SNCF, qui n’applique aujourd’hui plus aucune règle de maintenance et sous-traite la réparation des wagons à des entreprises qui interviennent dans les triages en camionnette.
La CGT refuse la mise en concurrence des salariés entre eux. Une convention collective solide est indispensable pour souder le corps social cheminot. Nous mesurons ici à quel point les intérêts divergent entre un patronat qui veut tout déréglementer et la CGT qui souhaite protéger les conditions de vie et de travail des cheminots. Seul le rapport de forces, construit à partir de la conscience des enjeux, permettra la prise en compte de nos revendications.
1 UTP : Union des transports publics et ferroviaires.
2 Décret socle : texte législatif qui sert de base.
3 RFF : Réseau ferré de France.