TRANSPORT de marchandises
Contribution de la Fédération CGT des cheminots au comité de suivi de l’engagement national pour le fret ferroviaire.
Cette contribution écrite a pour objectif d’exposer aux membres du comité le positionnement de la Fédération CGT des cheminots sur l’engagement national pour le fret ferroviaire. Sur la base de débats publics qu’elle a organisés ou auxquels elle a participé, des échanges avec les cheminots, les salariés, les cadres dirigeants de Fret SNCF, les élus politiques, les chargeurs… Elle formule des propositions pour redynamiser le fret ferroviaire en France.
Ces dernières décennies, l’évolution économique de la France caractérisée par le recul des industries lourdes et la faible densité d’implantation industrielle dans de nombreuses régions, ont favorisé le mode routier bien adapté à la demande d’envois fréquents, de taille réduite, vers des destinations diversifiées. Les politiques des transports au plan national et européen ont accentué cette tendance par des décisions en termes d’infrastructures, de tarification, de réglementation, conduisant à une sous rémunération du transport de marchandises quel que soit le mode. La direction de la SNCF, pour laquelle le fret n’était pas et n’est toujours pas la priorité, n’a pas adapté sa stratégie et ses modes de production à cette nouvelle réalité économique. Au lieu de prendre le tournant de la logistique territoriale pour devenir un opérateur incontournable, elle a concentré son activité sur quelques principaux chargeurs en les incitant à massifier les flux sous forme de trains entiers, au besoin en espaçant les expéditions. L’ouverture de la concurrence intramodale dans le mode ferroviaire n’a fait qu’aggraver la situation. Les plans de restructuration qui se sont succédé ont réduit la crédibilité du mode ferroviaire en ne remettant pas en cause, sauf par le social, cette stratégie industrielle et commerciale, par ailleurs contre productive sur la rotation du matériel roulant et l’utilisation des personnels. Le bilan catastrophique de ces dernières années démontre que ce modèle est dépassé. De 2000 à 2009, le transport ferroviaire de marchandises n’a cessé de régresser, passant de 58 à 33 milliards de tonnes/kilomètre. La part modale du fret ferroviaire a reculé de 22 % en 2000 à 14 % en 2009. Avec un déficit de plus de 900 M€ pour un chiffre d’affaires de près de 1 300 M€, Fret SNCF a enregistré les plus mauvais résultats de son histoire. Pour autant les fondamentaux indispensables à la relance du fret ferroviaire demeurent, à condition de reposer sur un effort conjoint de la puissance publique, de RFF et de l’opérateur historique qu’est la SNCF.
Ces deux plans stratégiques étroitement liés et imbriqués du gouvernement et de la direction de l’entreprise publique nationale tentent de contribuer, à leur manière, aux engagements internationaux de la France et aux attentes sociétales liées au développement durable exprimées par les populations, pour ce qui concerne le secteur des transports. La fédération CGT des cheminots, qui travaille dans ce sens depuis de nombreuses années, émet cependant des critiques et des désaccords concernant leur efficacité au regard des objectifs de report modal et des attentes des entreprises françaises. Dans les 8 axes de l’engagement national pour le fret ferroviaire, 5 ne sont destinés qu’à améliorer la fluidité des trafics de transits internationaux :
La part conséquente et croissante des trafics internationaux dans les échanges, particulièrement dans l’Europe élargie, atteste de la pertinence de ces axes. Mais en consommant la quasi-totalité de l’enveloppe budgétaire, ils péjorent la relance de l’économie française et ne permettent pas la relance nécessaire des trafics ferroviaires nationaux. Ainsi, malgré l’intérêt qu’ils représentent, avec les axes 3 (créer des opérateurs ferroviaires de proximité) et 7 (favoriser la desserte ferroviaire des ports français), ils contribuent à orienter le schéma directeur fret de la SNCF vers l’abandon du maillage du réseau de lotissement (wagons isolés) et au recul du mode ferroviaire dans les territoires. L’Axe 8 « améliorer le service aux transporteurs » est révélateur des difficultés d’utilisation du réseau dues à la fois à son état, consécutif à un manque d’investissement de plusieurs décennies, et à la fois à l’organisation du système ferroviaire en matière d’exploitation et de maintenance confiée à deux ÉPIC (SNCF et RFF) dont les objectifs sont antagonistes.
Le transport est un ensemble complexe logistique de l’expéditeur au destinataire final. Il est donc nécessaire de raisonner en système de transport et considérer le ferroviaire comme un segment d’une chaîne multimodale. Il faut optimiser tous les maillons et lever les contradictions entre les uns et les autres : SNCF, groupe SNCF, RFF, autres entreprises ferroviaires, autres modes de transport. De la même manière, il faut contribuer à assurer les cohérences territoriales. Ainsi, l’intervention publique doit inciter les chargeurs et les industriels à réfléchir en commun à leurs transports. Des convergences peuvent se développer entre l’intérêt général qui vise à orienter les flux vers des modes respectueux de l’environnement et l’intérêt des chargeurs qui peuvent bénéficier de ces mises en commun. Seule une politique des transports basée sur des valeurs de service public permet de respecter ce choix. Elle doit s’appuyer sur une volonté forte en matière d’infrastructures et un concept de logistique territoriale associée à un système de production performant irriguant le territoire. Ainsi les propositions suivantes concernent essentiellement les axes 3 et 7 de l’engagement national pour le fret ferroviaire.
Une logistique territoriale de proximité
Les attentes nouvelles de la société française en matière de transport ferroviaire sont liées à la fois au positionnement décentré de la France dans l’Europe élargie, à une économie inégalement répartie dans ses territoires et à une part modale ferroviaire trop faible pour la compétitivité des ports français.
Une nouvelle forme de massification
Le principe de la logistique territoriale ferroviaire consiste à rompre avec la logique de massification des flux chargeur par chargeur développée par la SNCF depuis des années, pour développer une nouvelle forme de massification des flux géographiquement homogènes de plusieurs chargeurs. Cela permettrait de développer des synergies locales, y compris en créant des flux « socles réguliers » par une « démassification négociée » de certains flux très denses, pour permettre d’acheminer par trains réguliers d’autres envois de taille plus réduite, qui n’entrent pas aujourd’hui dans le domaine de pertinence du ferroviaire, vers des destinations homogènes. Cette nouvelle forme de massification permettra d’améliorer la compétitivité du mode ferroviaire par une meilleure rotation des actifs et une optimisation de l’utilisation des capacités du réseau en régularisant au maximum les flux (les flux commerciaux conventionnels et combinés, les wagons vides en retour, les flux de matériaux destinés à l’entretien de l’infrastructure…).
Une nouvelle approche commerciale
La mise en œuvre nécessite une approche technico-commerciale territoriale multiproduits dans les territoires permettant :
Un nouveau système de production à deux niveaux
L’avenir du ferroviaire en termes d’efficacité économique et environnementale réside dans sa capacité à traiter des flux de moyenne, voire de petite taille et de les rassembler dans des trains massifiés. La production ferroviaire nécessite donc de traiter le drainage des territoires et leur mise en réseau par un système d’acheminement massif entre les différentes régions françaises et européennes. Ces deux niveaux d’organisation doivent être suffisamment performants afin d’intégrer l’alliance européenne XRAIL, dont l’objectif est « l’augmentation de la part modale du fer en créant un produit lotissement attractif entre grands centres économiques européens. Une juste réponse aux attentes fondamentales des clients en matière de fiabilité et d’information ». Rappelons que ce projet a été lancé par la SNCF en 2007, sous l’égide de l’Union Internationale des Chemins de fer, et que l’alliance a été signée le 19 février 2010 par sept entreprises ferroviaires européennes [CD Cargo (République tchèque), CFL Cargo (Luxembourg), DB Schenker Rail (Allemagne, Pays Bas, Danemark), Green Cargo (Suède, Norvège), Rail Cargo Austria (Autriche, Hongrie), CFF Cargo (Suisse), SNCB Logistics (Belgique)] mais sans la SNCF.
Le premier niveau d’organisation
Il est constitué par des organisations de proximité regroupant des gares, des points de desserte et des installations terminales embranchées d’une même zone géographique. La nouvelle approche technico-commerciale décrite ci-dessus permet d’optimiser les dessertes en les mutualisant par une évolution des organisations de la production et du travail (personnel au sol, desserte embarquée, équipe mobile…) en lien direct avec les besoins des chargeurs. Elle nécessite une évolution des métiers existants (manœuvre, desserte, conducteur) développant une plus grande autonomie en intégrant des missions pluridisciplinaires (logistique, commerciale, opérations simples de maintenance…). À ce premier niveau, l’émergence d’Opérateurs Ferroviaires de Proximité, là où le fret ferroviaire est traditionnellement absent, pourrait contribuer au report modal. À condition toutefois qu’ils ne se créent pas sans la SNCF, a fortiori contre elle. En effet, l’assemblage de l’offre et de la production nécessite qu’ils soient complémentaires de la SNCF. Celle-ci, avec son groupe, doit donc être un acteur pivot de ce développement. Ils ne peuvent en aucun cas être une alternative au retrait de la SNCF.
Le deuxième niveau d’organisation
Il est constitué par un réseau de points nodaux ou hubs, dont certains de dimensions internationale munis d’équipements modernes et connectés au réseau de l’alliance XRAIL, reliés par des trains massifs réguliers et cadencés. Ces points nodaux, points d’échange avec les organisations de proximité ou sites de gerbage de rames, permettent l’efficacité du système par la mise en réseau et les économies d’échelle réalisées grâce à une meilleure rotation du matériel moteur ou remorqué et l’optimisation de l’utilisation des sillons.
La desserte des ports
Bien que les ports soient des sites naturellement propices au transport ferroviaire, le fret ferroviaire occupe aujourd’hui une place marginale dans les ports français. La massification étant pour partie déjà réalisée, la création d’OFP ne se justifie pas. Comme pour les organisations de proximité, la position du mode ferroviaire peut être renforcée par :
L’écart est grand entre la tendance à une marginalisation du fret ferroviaire en France observée de 2000 à 2010 et l’objectif d’atteindre une part des modes de transport alternatifs à la route de 25 % en 2022. Les mesures annoncées dans le cadre de l’engagement national ne nous semblent pas être de nature à résorber cet écart. Les propositions de la CGT présentées ici s’inscrivent dans notre volonté de ne pas assister passivement à un échec qui serait lourd de conséquences pour la collectivité. Nous appelons à un nouveau débat public sur le sujet pour procéder à un diagnostic objectif de la situation actuelle, pour évaluer les évolutions probables à horizon 2022 au regard des orientations mises en œuvre et pour examiner à quelles conditions atteindre une part modale de 25 % pour le fluvial et le ferroviaire.
Le fret