Courrier unitaire adressé à la Première ministre et au ministre chargé des Transports
Situation de FRET SNCF
Madame Elisabeth BORNE
Première Ministre
Hôtel Matignon
57 rue de Varennes
Monsieur Clément BEAUNE
Ministre délégué chargé des Transports
246 boulevard Saint-Germain
75007 Paris
Madame la Première ministre, Monsieur le Ministre,
La situation de Fret SNCF est au cœur des préoccupations des salariés du Groupe Public SNCF et de nos fédérations syndicales.
L’enquête lancée par la Commission européenne le 18 janvier dernier actant une procédure formelle d’examen contre la France constitue le fondement de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Cette procédure n’est en rien unique et n’a pas connu, à ce jour, d’aboutissement.
Pour autant, le gouvernement français s’en est saisi pour mettre en œuvre un plan de « discontinuité ».
Celui-ci a été présenté aux partenaires sociaux lors de la réunion tripartite du 23 mai 2023.
Les éléments fondateurs du plan de « discontinuité » porté par le Gouvernement s’axent prétendument autour de trois lignes rouges :
- Pas de licenciements au sein de Fret SNCF et du Groupe Public SNCF ;
- Pas de « privatisation » ;
- Pas de report modal ;
Cette situation appelle une vive contestation de la part de nos fédérations syndicales.
Il convient, tout d’abord, de considérer l’état d’avancement de l’enquête lancée par la Commission européenne : alors que le calendrier s’étale sur de longs mois, l’argument de l’urgence ne peut être retenu. Néanmoins, le plan de « discontinuité » que vous portez implique une mise en œuvre extrêmement rapide. Ce n’est ni compréhensible, ni acceptable.
Il est ensuite indispensable d’évaluer les garanties associées. À ce stade, et sans conclusion de ladite enquête, seule votre conviction d’avoir élaboré un compromis avec la commissaire peut être avancée.
Le doute est néanmoins permis.
En effet, la situation du Fret n’est pas uniquement interrogée en France puisque la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, l’Italie ou encore l’Allemagne sont également confrontées à des procédures. Aucune « discontinuité » similaire n’a été mise en œuvre. Il est donc logique de considérer que si la France entend imposer une norme de « discontinuité », des discussions ultérieures pourraient tout à fait remettre en cause le scénario que le Gouvernement impose.
Le calendrier électoral européen, quant à lui, interroge sur la pérennité de « l’accord trouvé ».
De même, il ressort des rencontres entre des parlementaires européennes et la commissaire que la commission n’acte aucun compromis et ne reconnaît aucune urgence.
L’association des salariés pose également question. La mise en œuvre du plan de « discontinuité » que vous portez intervient alors même que certaines parties prenantes, tel que le Comité social et économique de Fret SNCF, n’ont pas été auditionnées.
De la même manière une commission d’enquête parlementaire vient d’être constituée et ses travaux devraient démarrer en septembre, avec une perspective de conclusion de leurs travaux en fin d’année. Il nous semble pour le moins opportun de permettre à cette commission d’auditionner les principaux acteurs de ce dossier et de formuler d’éventuelles recommandations. Il nous semble donc nécessaire de respecter ce temps parlementaire.
Vous conviendrez que, pour les salariés directement impactés, les certitudes ne sont pas de mise. Pire, nous sommes fondés à remettre totalement en cause la notion de « garanties » et à considérer qu’une « deuxième vague » de discontinuité pourrait être exigée par la Commission, ou qu’à l’inverse aucune discontinuité ne serait exigée.
Il est enfin indispensable d’examiner la matérialité des « lignes rouges » que vous avez tracées.
Concernant le maintien d’un outil public de transport de marchandises, il est évident que l’ouverture du capital, même minoritaire, ouvre la voie à une dérive de l’engagement. Nos fédérations rappellent qu’en 2018, l’opposition forte et structurée des cheminotes et des cheminots avait permis d’imposer le caractère « incessible » du capital de la société SNCF. Une promesse de plus non tenue ! Les doutes légitimes et les craintes fondées demeurent pour les salariés.
Concernant la situation de l’emploi, l’engagement de ne recourir à aucun licenciement ne peut être considéré comme acquis. L’impact de la discontinuité sur l’emploi est à évaluer à la fois sur le court et le moyen terme. Malheureusement, le plan de discontinuité que vous entendez imposer engendrera des effets négatifs sur l’emploi dans les années à venir. Par ailleurs, les impératifs de productivité imposés au Groupe Public SNCF, ainsi que la répartition géographique des emplois, rendent particulièrement délicate, voire franchement impossible, la mise en œuvre de ce type d’engagements.
Concernant le report modal, l’idée que la liquidation de Fret SNCF soit sans impact pour le transport de marchandises ferroviaire est tout bonnement irrecevable. Cela ne peut procéder que d’une conception tendant à considérer que les flux peuvent indistinctement être opérés par tel ou tel opérateur et revient à ignorer les fondamentaux de la production. Cela suppose que les entreprises soient en capacité de traiter des flux nouveaux dans un délai extrêmement court sans même interroger leur modèle économique ou d’organisation. Cela revient, surtout, à faire fi des femmes et des hommes qui font le ferroviaire et qui, eux, ne se transfèrent pas, tels des contrats ou du matériel.
Il apparaît clairement, pour nos fédérations, qu’au-delà du caractère inacceptable de cette conception des choses, le cadre légal et réglementaire en vigueur ne permet pas de mettre en œuvre le plan de « discontinuité » que vous imposez. Ajouter l’insécurité juridique à l’injustice sociale ne peut être admis.
Pour finir, le report modal n’apparaît même plus comme un risque, mais comme une certitude fatale au transport ferroviaire.
Dans un contexte d’urgence climatique et de nécessaire transition énergétique, ces décisions sont clairement contraires aux objectifs de report modal et de réduction des gaz à effet de serre que votre gouvernement s’est fixés.
L’ensemble de ces éléments amènent nos fédérations syndicales à vous demander l’arrêt immédiat de la mise en œuvre du plan de « discontinuité » imposé à l’opérateur public Fret SNCF.
Nous vous remercions pour la diligence avec laquelle vous considérerez notre demande et vous prions de croire, Madame la Première ministre, Monsieur le Ministre, en l’expression de nos respectueuses salutations.
Thierry NIER, CGT Cheminots
Didier MATHIS, UNSA-Ferroviaire
Erik MEYER, SUD-Rail
Thomas CAVEL, CFDT Cheminots