La loi du 28 février 2017 sur la sécurité intérieure est venue compléter de manière inquiétante la loi dite Savary de mars 2016.
Au prétexte du renforcement de la lutte contre le terrorisme, les droits des cheminots sont menacés.
L’employeur est désormais autorisé à licencier un salarié dont « le comportement » est considéré « incompatible avec ses fonctions », ce qui ouvre en grand le champ des malveillances patronales possibles.
Un contexte instrumentalisé pour restreindre les libertés
Les lois d’exception telles que l’état d’urgence, dont l’application et le prolongement sont sujets aux plus vives controverses, tendent à se mêler à des lois en apparence « ordinaires » mais qui portent de fortes restrictions des libertés individuelles et collectives, au motif d’une menace permanente intérieure et extérieure.
Si la menace terroriste ne peut être absolument niée, les faits attestent malheureusement que les restrictions de libertés mises en oeuvre par les pouvoirs publics sont autant disproportionnées qu’inefficaces.
Pour la CGT, il est nécessaire et possible que l’État protège les populations face au terrorisme, sans remettre en cause les droits et les libertés.
Un texte dangereux et liberticide pour les salariés
L’article R.114-7 du code de la sécurité intérieure vise de nombreux métiers de cheminots : les aiguilleurs, les agents de conduite, les gestionnaires des mouvements des trains, les agents en fonction dans un poste central de commandement ou dans un poste de régulation, les administrateurs de systèmes d’information liés à l’exploitation du réseau ferroviaire, les agents de la SUGE, les concepteurs des systèmes de contrôle et de commande des installations ferroviaires. Il ressort des débats parlementaires que les métiers listés par le décret résultent des demandes des représentants de la SNCF lors de leurs auditions.
Le texte instaure des enquêtes administratives préalables à l’embauche et en cours de carrière si « le comportement de l’agent » laisse apparaître, aux yeux de l’employeur, des « doutes sur la compatibilité avec l’exercice de ses missions ».
L’enquête précisera si le comportement de l’agent donne des « raisons sérieuses de penser qu’il est susceptible, à l’occasion de ses fonctions, de commettre un acte portant gravement atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics », ce qui permet alors à l’employeur de procéder à son licenciement. Dans le laps de temps où se déroule l’enquête administrative, l’employeur pourra décider, à titre conservatoire, de retirer le salarié de son emploi.
La perte d’emploi serait le remède à une forme d’extrémisme présumé.
La CGT ne partage pas ce paradigme, d’autant que le système répressif français est doté de l’infraction d’ « association de malfaiteurs à visée terroriste », qui conduit à sanctionner de manière extrêmement large et précoce des actes préparatoires à un acte de terrorisme, ce qui rend inutile un nouveau texte.
La CGT refuse une société du contrôle généralisé, une société qui glisse de la présomption d’innocence au présumé potentiellement coupable.
Un texte qui met hors de contrôle les patrons
Le texte ne limite pas la « compatibilité » aux actes de « terrorisme », de telle sorte que les « doutes » de l’employeur pourraient s’appliquer aux incidents de manifestation, à tout type d’infraction constatée en dehors du travail…
La direction SNCF considère que les dispositions statutaires et celles du RH0144 relatives aux garanties disciplinaires et aux sanctions ne sont pas applicables, y compris pour les agents du cadre permanent.
Les dangers sont donc extrêmes ! En l’absence de toute infraction, un consortium employeur / Ministre de l’Intérieur pourra décider de l’avenir d’un salarié et briser sa vie professionnelle.
Pour la CGT, il n’appartient pas au Ministre de l’Intérieur de juger, en vertu d’éléments dont la provenance demeure obscure, de la compatibilité du comportement d’un salarié avec ses fonctions en dehors de toute condamnation ou fait professionnel fautif avéré.
Un texte vivement contesté par les défenseurs des libertés…
La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, saisie pour avis, se prononçait à l’unanimité en ces termes : « la Commission s’alarme des risques que l’élargissement de l’utilisation de la notion imprécise de « comportement » fait peser sur le principe de la présomption d’innocence, sur la protection de la vie privée et sur les interdictions de discrimination à raison de la religion, mais aussi à raison de l’activité syndicale ou politique. Concrètement, il est à craindre que des individus de confession musulmane ne soient stigmatisés, et même licenciés à cause de leur pratique religieuse, voire que des entreprises n’usent de cette procédure pour écarter des militants syndicaux ».
Consulté sur les projets de texte, le Conseil Supérieur de la Marine Marchande, composé des organisations syndicales et patronales, a également émis un avis négatif.
Lors de la Commission Nationale de la Négociation Collective, la CGT s’est fermement opposée aux deux projets de texte, qu’ils soient de loi ou de décret.
… mais soutenu par d’autres moins progressistes !
Lors de la Commission Nationale de la Négociation Collective, la CFDT a émis un avis favorable sur le projet de texte de loi et sur le projet de décret, le tout par courriel.
L’encadrement instrumentalisé et soumis à des injonctions contradictoires
L’encadrement, mû malgré lui par le législateur en Big Brother, sera inévitablement en peine pour identifier que tel comportement d’un agent serait incompatible avec ses fonctions ou que tel autre relèverait sans risque de la sphère personnelle.
Outre la pression que la situation exercera sur ces encadrants, se pose inévitablement la question de la responsabilité en cas d’erreur (de jugement !) dans les deux situations.
La CGT vent debout contre l’arbitraire !
La Confédération CGT et la Fédération CGT des Cheminots ont saisi le Conseil d’Etat pour demander l’annulation du décret et contester la constitutionnalité de la loi du 28 février 2017.