Les péages autoroutiers sont souvent des lieux où la colère sociale s’exprime. Le coût et l’augmentation perpétuelle des tarifs des péages, ajoutés à une volonté de renationalisation des autoroutes y est sans doute pour quelque chose.
La nouvelle hausse prévue le 1er février prochain ne devrait pas faire retomber la colère. Pour tenter d’éteindre l’incendie, la ministre des Transports Elisabeth Borne a demandé aux sociétés concessionnaires autoroutières (SCA) de faire « un geste commercial » pour le pouvoir d’achat des usagers
Dans leur « grande générosité », les SCA ont annoncé le 17 janvier une réduction de 30% pour les automobilistes qui font au moins dix allers-retours par mois en empruntant le réseau autoroutier pour leur trajet domicile-travail.
Mais la hausse moyenne annuelle de 1,8% à 1,9% prévue dans les contrats signés par les SCA et l’Etat aura bel et bien lieu.
Avant 2006, les principaux réseaux d’autoroute étaient publics. Les péages servaient, après prélèvement des impôts, à financer l’exploitation, le remboursement de la construction et le développement du réseau. L’Etat ayant vendu ses parts à des entreprises privées, pour un peu plus de 14 milliards d’euros, les contrats avec Eiffage, Vinci et Abertis qui à l’origine s’étalaient sur 20 à 25 ans ont depuis été prolongés et les concessions des principales sociétés autoroutières (APRR, ASF, Cofiroute et Sanef) courent au moins jusqu’à 2032.
Les tarifs des péages sont fixés chaque année (au 1er février) par ces sociétés d’autoroutes, selon des conditions définies par le décret n°95–81 du 24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers. Ils doivent tenir compte de l’inflation, des investissements (réalisés ou à venir) et de la redevance domaniale versée à l’État (pour la « location » des autoroutes).
Le prix des péages a augmenté de 20% en dix ans tandis que l’inflation n’a augmenté « que » de 11,4%. Où va la différence ?
D’après un rapport de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), les bénéfices de ces SCA, en constante augmentation ont bondi de 25 % en 2016, à plus de 2,8 milliards d’euros et ces mêmes sociétés d’autoroute ont reversé plus de 4,7 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires.
Vinci Autoroutes (ASF, Cofiroute, Escota et Arcour), affiche des bénéfices en hausse de 28,5% sur un an (1,75 milliard d’euros) et des dividendes en progression de 88,5% (près de 4 milliards d’euros !)…
Ces profits se font directement sur le dos des usagers et des salariés :
• En réduisant des effectifs, par exemple en automatisant les péages et en supprimant des emplois aux barrières de péage tout en percevant le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi)
• En faisant appel à leurs propres filiales pour la réalisation de travaux sur leurs réseaux (Vinci ou Eiffage sont aussi et surtout de grands groupes de construction). L’argent investi ne sort alors pas de leurs groupes.
• Par l’augmentation des tarifs des péages, qui représentent 97% des entrées d’argent, augmentation qui va bien au-delà de l’inflation
L’État qui ne souhaite pas de son côté mobiliser le budget nécessaire, serait devenu totalement dépendant des sociétés d’autoroute pour financer les travaux nécessaires à l’entretien et au développement des infrastructures.
Les SCA se réfugient derrière leurs contrats « en béton ». Ceux-ci prévoient que l’inflation et les investissements doivent se traduire par une augmentation des péages.
Le gel de l’augmentation des péages imposée par la ministre Ségolène Royal en 2015 a été répercuté les années suivantes et compte encore pour 0,25 point de pourcentage dans l’augmentation des tarifs prévue cette année.
Comment sortir de ce piège autoroutier ?
L’article 38 de l’accord de 2006 prévoit pourtant qu’au nom de l’intérêt général, « l’État aura le droit de racheter la concession au 1er janvier de chaque année, moyennant un préavis d’un an », et le versement d’indemnités aux sociétés autoroutières.
En cas de rachat, les pouvoirs publics pourraient reprendre la main sur les infrastructures autoroutières, en attendant de renégocier avec d’éventuels concessionnaires.
Sous le gouvernement Valls-Hollande, une commission parlementaire dirigée par le député Jean-Paul Chanteguet a étudié les possibilités de telles renégociations. Mais cette possibilité avait été balayée par le premier ministre de l’époque, peu enclin à augmenter la dette de l’Etat en faisant un gros chèque aux SCA. Refusant ainsi un investissement qui aurait permis d’engranger la rentabilité des autoroutes pour financer, entretenir les réseaux ou développer d’autres modes de transports.
Les mesures des SCA et du gouvernement : Un enfumage pour faire face à une contestation sociale
L’annonce, fortement médiatisée, des mesures des SCA concernant le trajet domicile travail pour des usagers empruntant leurs réseaux ne sont que quelques miettes données aux automobilistes au regard de la réalité et des enjeux financiers que représentent les autoroutes. En sachant que ces mêmes SCA auraient préféré un allongement des durées de concessions qui leur permettrait d’augmenter leurs périodes de profits.
Pour la CGT, des solutions existent pour redonner du pouvoir d’achat et répondre aux besoins de mobilité
Une solution est effectivement d’utiliser l’article 38 de l’accord de 2006, pas pour renégocier les contrats mais pour renationaliser les autoroutes concédées afin que cette manne financière revienne dans le giron de l’Etat et que les profits soient utilisés pour :
• L’entretien des réseaux qui n’en finissent pas de se détériorer faute de moyens suffisants
• Développer des moyens de transports moins émetteurs de gaz à effets de serre que le transport routier
Les déplacements domicile travail sont à prendre en considération, pas par quelques « mesurettes » mais par un changement de politique :
• En stoppant l’étalement urbain responsable de congestion et de pollution qui amplifie les mobilités autour des métropoles
• En menant une véritable politique d’aménagement du territoire
• En réindustrialisant dans les territoires,
• En priorisant des solutions de transport collectif dans une logique de service public.
Mais aussi par des mesures immédiates telles que :
• L’élargissement de l’assiette du versement transport au profit des autorités organisatrices de mobilité (AOM)
• La baisse de la TVA à 5 % sur les transports en commun
• L’instauration d’une redevance nationale sur la circulation des poids lourds
Il y a urgence ! La priorité, c’est de répondre à l’intérêt général, Pas aux actionnaires des sociétés concessionnaires d’autoroutes qui disposent de véritables rentes en percevant les péages.